11.2.08

Biohazard

Ca fait des mois que je bosse et que je suis sur les rotules. En rentrant le soir je n’ai le temps de rien. Je n’écris plus. Je ne pense que pendant mes deux heures de métro quotidien, quand j’arrive à émerger de ma nuit incomplète. Le problème, c’est que je ne peux pas pleurer dans le métro. Desfois j’en ai envie, et ça doit se voir sur mon visage. C’est souvent à ce moment la qu’un SDF passe en mendiant un euro, un ticket resto, ou même un sourire. Alors je tourne ma face vers la vitre, me cachant dans l’obscurité du tunnel.
Tout le monde fait ça. Ou alors on tente un sourire crispé qui ne fait qu’exprimer notre désarroi. On fuit son regard mais au final c'est le notre que nous voudrions perdre. Ca nous fait chier. Ca nous fait tellement chier au fond de nous. Cette incohérence.

On est tous comme ça, c’est le jeu. On sait tous que nos rolex, nos playstation, tout ça a un coût. Mêmes nos chiottes et cette eau du robinet dégueulasse, elle a un coût.
Enfin bon j’en suis plus la, tout ça c’est acquis. C’est juste que ma vie merde, ma vie bloque. Et puis... je me sens triste de pas être heureux. Je voudrais être heureux et j’y arrive pas. Je le suis de temps en temps, par à coups. Je voudrais être transporté de bonheur. Mais parfois j'ai l’impression de m’être consumé. Avec ma copine on a l'impression d'avoir consumés nos vies. Pschiiiit…

C'est comme si, tels des mômes trop curieux, on avait voulu ouvrir les yeux direct pour mater le père noël. Résultat, de cette fête magique, on a décelé une vaste supercherie abominable : des usines chinoises qui exploitent les mômes qui fabriquent nos cadeaux en plastique, polluant au passage des rivières et faisant disparaitre des centaines d’espèces; jusqu’à nos parents dépressifs et shootés aux anxiolytiques qui s’endettent pour payer ces joujoux qui nous feront quelques jours, à des pauvres employés surmenés et payés au smic.
Putain ça nous mine tout ça. On est complètement choqués. On peut pas être serein quand on sait tout ça. Pourquoi est ce qu’on a ouvert les yeux bon dieu ?! Non mais bon dieu de merde quelle idée ?! Personne ne nous a prévenus aussi, et je ne savais pas qu’il y avait un frein d’urgence à mettre pour toute tentative d’échappatoire intelligente et lucide. Le mieux est alors effectivement l’ennemi du bien. Notre condition doit rester floue. Opaque. Voire même complètement ignorée. C’est horrible de dire ça. Car pourtant desfois on sent qu’il y a du bien quelque part non ?

On sent que quelque chose de bien pilote tout ça. Enfin desfois je le sens. Et la plupart du temps ce sentiment reste un songe lointain et inaccessible. Car la réalité est implacable. La réalité, c’est mon poids, qui transfigure mes rêves d’envol. Nos envies d’éternité sont balayées par notre chaire. Notre sang. Rien qu’une allergie nous met à terre. Notre temps est compté. Telle est la réalité humaine. On est amené à disparaitre. Dans 5 secondes, 5 minutes, 5 années, on va tous disparaitre, les uns après les autres. Et ça, c’est une certitude. T’as beau inventer un vaccin, démontrer l’atome, t’as beau être un génie, un belâtre ou un clochard, tu vas crever. T’as beau être riche, même si tu penses que non, et ben si, tu vas crever. T’as beau te sentir invincible, comme ce trouduc qui s’assoit face aux flots avec son cigare et son verre de brandy, dans "Titanic"; aux derniers instants, tu vas avoir les foies. Et tu disparaitras dans tout cet océan de merde, poussière, et de boue. Et tu nourriras tous ces insectes gerbeux. On est tous de la merde. Des amas de merde qui se lèvent, font des trucs, achètent des actions, montent des entreprises, exploitent d’autres merdes. Et certains décident de ne pas se prendre pour de la merde. Et ceux la mettent les autres merdes encore plus dans la merde. Ils emmerdent encore plus cette vieille merde qu’est le monde. Car si il y a bien un moyen de faire en sorte que cette merde soit moins nauséabonde, c’est de prouver que nous ne sommes pas de la merde. Et qu’on peut être utile. Car je ne crois pas au hasard. Pas comme ça. Ce n’est pas possible. Même si l’on est rationnel. Même si la rationalité est notre devise, le scepticisme la clé de notre existence, on ne peut pas, croire au hasard qui a fait de ce monde, ce monde. Il y a nécessairement quelque chose. C’est, d’un point de vue logique et rationnel, beaucoup plus logique. La logique veut que tout ceci soit illogique. Il est beaucoup plus probable que tout ceci soit improbable.

Alors Dieu existe, c’est certain. Oui, je crois en Dieu. En fait j’y crois depuis longtemps, mais ça me faisait chier de le dire et de l’admettre. Car tous ceux qui croient en Dieu ici y croient d’une façon qui me déprime et me détourne de toute foi.
Je crois en Dieu, mais ça ne veut pas dire que je croie qu’il exprime quelque chose de forcément positif. Si ça se trouve c’est quelqu’un ou quelque chose de peu recommandable. Au vu de la merde dans laquelle on se trouve, c’est même hautement probable. Peut-être est il neutre, auquel cas il faut lui tenter de lui plaire.

L’autre jour, je pensais à un truc. Il y a beaucoup plus de malheur que de bonheur sur cette Terre. Je disais une fois qu’un de nos bras pèse infiniment plus lourd, et c’est ce qui fait que l’humanité s’écroule d’un coté. Y’a qu’à regarder les infos, ou parler, écouter autour de soi. Tous les gens que je connais sont au mieux « contents de temps à autres ». Je ne connais personne de véritablement heureux. Alors que je connais beaucoup de désespérés. Quant aux gens « heureux » que l’on nous montre à la télé, ils finissent tous par se droguer ou sombrer dans l’alcoolisme. La seule chose heureuse que j'ai vu, c'est mon chien, de son vivant. Oui ça lui il était heureux. Il kiffait bien la vie. 'Faut dire aussi qu’on a pas le même logiciel. Disons que pour nous, le bonheur simple est acquis. On appelle même plus ça du bonheur. Manger à sa faim, être au chaud, prendre une douche, avoir une femme, tout ça, c’est acquis. On attend plus. On ne saute pas de joie en buvant notre café le matin. Alors que mon clébard, lui, faisait une nouba de dingue en découvrant son plat, pourtant identique, et ce chaque jour de sa courte vie. Et croyez-moi c'était pas du caviar son truc.
Nous, si jamais on nous sert la même chose tous les jours, on fera une dépression ou une grève de la faim. Et au bout d'un moment, même avec du caviar... Mon chien bondissait de joie à chaque sortie alors que moi je m’enferme week-end end après week-end. Une caresse les font presque jouir, certaines personnes ici n’arrivent plus à bander.

On ne bande plus pour ce monde. L’Australopithèque devait kiffer, et il a kiffé encore plus quand il a trouvé une pierre, et le feu, à tel point qu’il est devenu de fil en aiguille Neandertal. Et puis il y a un moment, ça a merdé. On est devenu capitalistes. Je veux dire, comme dans toute boite qui n’arrive plus à faire des gros bénéfices, on s’attaque aux dépenses. On coupe ce qu’il faut couper. Alors on va couper. On va couper la chasse, le froid, la faim, la fatigue. Alors on cultive, on se protège, on construit, on conduit. L’action monte, toujours plus. L’indice CAC40 de l’humanité s’envole. Même si les bénéfices bloquent, les dépenses s’amenuisent. La condition humaine est rentable. Avez-vous déjà travaillé dans une boite rentable ? C’est d’un ennui mortel. Les avantages et réductions disparaissent, les gens ne se parlent plus, et le turn-over s’accélère.

On a réussi à atteindre des sommets par endroits. L’homme comprend beaucoup de choses, commence à maitriser la matière. Et arrive à éliminer les contraintes, rallonger sa vie. Il ne se dit pas que ces contraintes ont été levées par hypothèque. Et que tôt ou tard, il va y avoir un retour, un crash. On va tous se retrouver à poil, dans le froid et la faim.
Bref, c’est difficile d’être heureux dans un monde comme ça. Ce que je veux dire, c’est que ce n’est plus un monde adapté pour les personnes que nous sommes devenues. Le bonheur que l’on nous offre est acquis. Il fait partie de nos fondements. Nous ne pouvons pas réintégrer la faim, l’insécurité, la fatigue, la souffrance, et l’ignorance. Nos bases, ce qui fait que nous sommes conscients de nous-mêmes et du monde, sont dénués de ces sentiments. Ou ils en ont une connaissance légère. Nous ne pouvons pas réintégrer notre animalité. Car il nous est maintenant acquis que nous nous sommes séparés du règne animal. C’est ce cordon, qui nous relie encore, qu’il nous faut couper. Ce cordon élastique qui menace de nous emporter.

Nous vivons sous un plafond qui nous bloque l'accès à l'éternité, alors que nous grandissons inéxorablement. Nous allons mourir écrasés, ou devoir nous résoudre à vivre dans la cave, après une belle dégringolade qui laissera des traces...

On s’est emballé, on s’est habitué, on a progressé grâce à cela. Mais le monde ne progresse pas avec nous. Le monde reste un endroit potentiellement inhospitalier, vaste, et puissant. Nous restons des merdes. Des merdes qui se prennent pour autre chose... mais notre enveloppe reste merdique. C'est une bien mauvaise idée que de transporter du cristal dans du papier.
L’ennui, c’est qu'on ne réfléchit pas. On va commencer à réfléchir à tout ça quand on va se retrouver au bord du précipice. Et on se dira qu’on aurait peut-être du montrer notre valeur. Montrer qu’on mérite de passer au niveau du dessus. Un monde sans peur ni incertitude.

La vie est un pari. Croire en dieu est un pari. Ce que je souhaite dire, c’est que je n’ai pas demandé à jouer. On est là et on nous demande de jouer. Je voudrais desfois, juste, ne pas être. En même temps je me dis que ce serait triste, du gâchis pour rien. Que tout cela doit amener à quelque chose. Et puis je pense aux gosses qui meurent, aux caillaux de sang qui flinguent à tous va les hommes en pleine force de l’âge. Et la l’arbitraire reprend le dessus. La signification perd son sens et s’évanouit. Si ça se trouve je mourrai demain en faisant caca, ou dans 50 ans sur mon trône de roi du monde. Les deux solutions sont éventuelles, et ça, c’est difficilement intégrable. A la limite, cela pourrait être intéressant, si l’on avait une emprise totale ou du moins majeure. Si toute forme d’injustice était insignifiante.