31.10.05

Monsieur Connard

On a changé d’heure. Il fait déjà très sombre. J’ai fait une sieste alors qu’il faisait beau, et au moment ou je voulais sortir me balader, il faisait déjà sombre. Je suis un peu dégouté, car c’était peut-être la dernière belle journée de l’année. J’ai gâché mon temps.
J’en ai assez d’être un connard. Je suis allé acheter du pain, et des beignets. Un sdf édenté m’a demandé une clope, alors que je priais pour qu’il ne me remarque pas. Ouf, il ne voulait qu’une clope…
Putain mais j’ai l’impression d’être revenu des mois en arrière… tout ça c’était acquis… c’est tellement dur de marcher avec ses convictions, surtout lorsqu’elles sont en total désaccord avec les petits riens qui font la vie de tous les jours. C’est tellement dur d’être quelqu’un de bien ici, car il faut TOUT revoir, tout changer. Car tu ne peux pas sélectionner tel ou tel moment, telle ou telle situation au sein de laquelle tu es un mec bien. Ce sdf, tu lui donnes de l’argent, mais pas lui, ni lui. Ce client, tu es aimable avec lui, mais pas lui, ni lui. Aujourd’hui tu souris, mais ici il faut que tu fasses la gueule.
J’en ai marre. Voilà, je pousse ma petite gueulante, car c’est un déchirement à chaque fois que s’engage dans ma tête un conflit entre l’homme bon qui est en moi, et mes réactions de connard. L’angoisse du sdf, la radinerie subite. Putain j’avais dix euros en poche, deux beignets et une baguette. Et lui il avait même pas de dents. Et alors ? quoi ? je lui apporte un repas, l’invite chez moi ? lui paye un coup ? et après ? demain ? après-demain ? je fais quoi, je m’arrête à tous les coins de rue, je transforme mon studio en refuge ? je ne mange plus tant que j’ai encore des dents ? je ne m’achète plus rien tant que j’ai encore de l’argent ? quitte à faire une bonne action, je veux la faire jusqu’au bout. Changer les choses, faire en sorte qu’aucun trouduc n’ait plus jamais peur d’un type qui a plus de dents certainement affamé et qui demandait poliment une clope. Je veux le faire, mais je ne sais pas comment. Qu’est ce que je dois faire. Putain j’en ai ras le bol de chez ras le bol. La vie me saoule à un point inimaginable. C’est tellement relou d’aller de l’avant mais de sentir une forme de régression perpétuelle. Ya desfois je voudrais qu’une onde de choc sorte de moi et se fasse tout, tout autour de moi, si bien que tout serait refait, comme il faut. Tout serait changé en bien. Desfois je suis tellement vénère tout seule dans la rue, derrière ma face impassible, que j’ai l’impression que cette onde de choc va sortir. Mais au lieu de ça, je continue de faire comme monsieur tout le monde, comme ce cher monsieur connard. Un trouduc qui foire son dimanche ensoleillé dans son studio minable et qui se demande à la fin de la journée comme il a fait pour foutre sa principale journée de la semaine en l’air. Alors que toutes ces actions vaines et vides de sens méritaient une contrepartie, une récompense qui voudrait tout dire. Mais nan, ya rien, rien qui dit que j’ai raison d’être un connard semaines après semaines…