18.6.03

Human Way Of Life

Tout à l’heure je suis allé dans une boutique de créateurs. Ce genre de boutique se multiplie dans mon quartier. On y trouve des choses sympathiques, typiques ou franchement inutiles, mais toujours hors de prix. Des polaroids étaient à vendre. Des photos. Un mec avait pris en photo une télévision qui retransmettait les guignols de l’info. Rien d’autre. Photo classique, un pola qui lui a pris 2 secondes de son temps. Il a pris la photo, a marqué son nom : 45 euros. 300 francs. Un tout petit pola de rien du tout. Une photo floue qui ne veut rien dire. Mais c’est un créateur. Il crée, il est bon, il a du talent, il a un nom, il est IL, alors il faut aimer. Pour le prix de deux ou trois de ses œuvres, on peut avoir l’appareil, et plusieurs dizaines de photos bien plus expressives. Ca a fini de me foutre en l’air. Je suis rentré, furieux, dépité, par ce voisinage faussement convivial, en proie à l’illusion de la convivialité, de la différence, de la création, de l’expression et de la tolérance, mais en réalité régi par le business, le mensonge et la médiocrité.

On croit aimer, on croit tolérer, on croit protester, on croit exister, on croit se faire entendre, on croit être libre. Mais on ne sait rien. L’esprit le sait. Et il se meurt. Il finit par vous trainer chez le psy, en analyse, ou à l’hopital. Il vous ronge en cancer, il tue votre fils en voiture, passe par le sang ou le sperme. Ce voile de bonne conscience cache la mauvaise conscience générale. Toute la tristesse du monde.

Hier soir, j’ai maté le dernier James Bond. Ca m’a fait vraiment chier. Quand j’étais petit, j’étais fan. J’adorais Sean Connery et Georges Lazenby. Je ne sortais jamais sans mon permis de tuer dans mon mini porte-monnaie. Mais là, James Bond est devenu une espèce de Rambo débile, alcoolique et beauf. Il est con comme ses pieds et traite les femmes comme des bouts de viande. La classe a disparu. Maintenant il se sauve grâce à des gadgets toujours plus improbables. Son salut cesse d’exister. Il s’en remet aux miracles, mais les miracles n’existent pas. Dans le dernier James Bond, les coréens sont les méchants. Des méchants vraiment très cons. J’imagine comment ils ont du accueillir le film. C’est vraiment dégueulasse. James Bond, dans ce film, dit servir « l’amour universel ». On vous le dit, alors vous le croyez. Mais ce type là est plus abjecte que tout. Il tue, se venge, boit, baise, s’amuse avec ses gadgets. Mais il sauve le monde. Alors on est content. On utilise des images dignes de la propagande la plus nulle mais on s’en fout. D’ailleurs, on est conditionné à croire que le mot propagande ne s’applique qu’aux méchants : les nazis, les islamistes, les cocos. De même qu’on jure par tous les saints que notre monde libre est libre. Que nous sommes justes. Que nous sommes l’axe du bien, et qu’il y a un axe du mal. On est en démocratie, libres, et, en tant que membres du peuple, on a le pouvoir. Ah oui ça on en est persuadé, merde. Si loin, si proche.
Alors James va nous sauver. Mais en vrai, les gadgets, les voitures invisibles, les hélicoptères qui décollent d’un avion à réaction, les agents secrets cinquantenaires qui font du surf ou de l’escrime mieux que n’importe quel champion olympique, ça n’existe pas.
Bref, ce film qui se résumait à des scènes d’actions débiles enchainées les unes après les autres de façon grotesque, a fini par me saouler. Je suis pas contre les films d’action, loin de la. Ni les films débiles d’ailleurs. Il faut de tout. Mais par pitié, pas en se prenant à ce point là au sérieux… pas au nom de l’amour universel, merde.

Voila comment on nourrit ceux qui sont en manque. Voila comment on nourrit les illusions, voila comment on nourrit ceux qui sont insérés, presque irrécupérables. On leur ingurgite du cul, de l’alcool, des explosions, au nom de l’amour universel. Et on ne va pas plus loin. Dans le même temps, on fait passer quelques messages personnels, du style « Corée = méchant ». Et puis on éteint son lecteur dvd, on est content, on a passé une bonne soirée, ce film était vraiment kiffant et les effets spéciaux démentiels. On se dit que James Bond est sévèrement burné, mais comme tout le monde, et en particulier les plus intellos de nos amis, on finira par se dire nostalgique de Sean Connery. Mais on ira pas plus loin, d’ailleurs on dit ça pour faire semblant d’être intelligent, pour être à la mode, en phase avec les autres, car le bonne pensée générale admet que Sean Connery soit considéré comme le James Bond original, le vrai, bien que ses films soient les plus chiants, et les plus nuls niveau effets spéciaux, d’ailleurs on arrive jamais à les voir jusqu’à la fin, y'a pas assez d’action et on voit pas assez de nichons. Enfin bref.
Voila comment on nourrit les gens en leur donnant leurs calmants, leur raison de leur mode de vie, et leur semblant d’intelligence, d’intégrité, et de libre arbitre.
Dans cette société, on ne vit pas. On vit à votre place. On vous fait vivre. C’est le Human Way Of Life.