Pourquoi on se sent mal quand on croise un sdf ? pourquoi on change de trottoir ? pourquoi on baisse les yeux ? parce que c’est irréel, parce que si on le considère, cela nous hôte toute raison de vivre dans ce monde. Parce que ce sdf exprime notre irréalité, notre insignifiance, notre orgueil, nos faiblesses, notre impuissance, notre monde cruel et raté. Parce que ce sdf est la preuve même que vous n’existez pas. Parce que si vous le considérez, il existe, et vous, vous n’existez pas. Votre monde, votre vie, n’a plus de sens. Ce sdf, c’est votre mort, votre peur. Chaque sdf croisé est une petite mort pour vous.
Et en même temps ce paradoxe. Notre premier réflexe est un sentiment honteux de culpabilité, mélé à une peur panique du pauvre sans attache. Elle nous fait changer de trottoir ou de wagon. La peur de celui qui n'a rien à perdre, qui peut se permettre de gueuler et de se compromettre au regard des autres. Ca, ça nous fout en l'air, car on en est incapable, se mettre en scène comme ça et subir le jugement en société. On est phobique de ça. Quand au sentiment honteux de culpabilité, il ne vient pas forcément du fait qu'on les plaint d'être pauvres. Je crois qu'en fait on se plaint nous même de jouer le jeu qui les rend pauvres. Et de ne pas être si heureux que ça. On se rend compte que le prix à payer est énorme, et qu'en plus ça n'apporte pas le bonheur. Juste une accoutumance aux quelques euros qui se cachent au fond de notre poche et auxquels on s'aggrippe comme un mort de faim, en répétant dans sa tête le "non, j'ai rien" que l'on s'apprête à lancer à ce malheureux. Qui lui, pour le coup, est mort de faim. A chaque fois, une composition qui mérite un Oscar. La honte que l'on ressent, elle vient du fait que même le sourire qu'il nous demande en dernier recours, même ça, on est incapable de lui fournir. Et ça, ça finit de nous foutre en l'air.
Après cette phase de peur honteuse, notre raison d'homme moderne civilisé prend heureusement le dessus, nous réconforte, nous caresse subtilement le poil en nous sussurant des mots doux au creux de notre conscience. Non tu n'es pas coupable, c'est un fainéant. N'oublie pas, tu es un travailleur, et lui c'est un fainéant. Il est sale, il pue, il a des maladies et il mérite son sort. Il n'a qu'à bosser, et embrasser la même vie de merde que toi.
Les plus "téméraires" d'entre nous osent en effet détourner le regard sans se montrer hésitant ou coupable. Et parfois s'essayer au rôle de moralisateur. Tu ne boiras pas d'alcool (non c'est reservé aux riches travailleurs), tu ne fumeras ni te drogueras pas (idem). Parfois leur auto-persuasion est incroyable d'efficacité. Mais ça ne dure jamais longtemps. Sauf si on est effectivement une raclure sans nom.
Alors pour nous faciliter la tâche on préfère voter des lois, ayant pour but de masquer la pauvreté, bombarder les opprimés, interdire les gênants. On sera enfin tranquille avec notre conscience. On aura enfin l’impression de vivre dans un monde sensé.
Et puis un jour, les sdf on les parquera ailleurs, ils font fuir les touristes, ils sont trop et gâchent ce semblant de beau quartier, de fausse bonne ambiance, de fausse joie de vivre qui emplit l’homme du monde libre. Bientôt nous inventerons du répulsif ou des pièges anti-sdf. Dans certaines villes, ils sont d’ores et déjà interdits de séjour. Et interdits d’alcool. Non, pas d’alcool, vous n’aurez droit à rien pour apaiser vos souffrances. Souffrez en silence, mais lucides !
Je me suis dit que, quand on aura massacré toute la viande animale de la planète, on se bouffera entre nous. On sera alors devenu physiquement notre propre prédateur. De toute façon, l'ultra libéralisme, c’est ça. Il dénonce les monopoles, mais sa limite, son horizon, est pourtant le monopole, l’unité. Il donne un visage humain à la loi de la jungle. Nous sommes déjà nos prédateurs, le golden boy mangeant la secrétaire, le pdg mangeant l'employé, le vendeur mangeant le client. Alors on deviendra cannibales, on vantera d’abord les mérites de la viande sdf, élevée en pleine nature, nourris aux bonnes poubelles. Puis celle du salarié. Et ainsi de suite. Et à la fin, le dernier connard essaiera de se manger la bouche.
Et en même temps ce paradoxe. Notre premier réflexe est un sentiment honteux de culpabilité, mélé à une peur panique du pauvre sans attache. Elle nous fait changer de trottoir ou de wagon. La peur de celui qui n'a rien à perdre, qui peut se permettre de gueuler et de se compromettre au regard des autres. Ca, ça nous fout en l'air, car on en est incapable, se mettre en scène comme ça et subir le jugement en société. On est phobique de ça. Quand au sentiment honteux de culpabilité, il ne vient pas forcément du fait qu'on les plaint d'être pauvres. Je crois qu'en fait on se plaint nous même de jouer le jeu qui les rend pauvres. Et de ne pas être si heureux que ça. On se rend compte que le prix à payer est énorme, et qu'en plus ça n'apporte pas le bonheur. Juste une accoutumance aux quelques euros qui se cachent au fond de notre poche et auxquels on s'aggrippe comme un mort de faim, en répétant dans sa tête le "non, j'ai rien" que l'on s'apprête à lancer à ce malheureux. Qui lui, pour le coup, est mort de faim. A chaque fois, une composition qui mérite un Oscar. La honte que l'on ressent, elle vient du fait que même le sourire qu'il nous demande en dernier recours, même ça, on est incapable de lui fournir. Et ça, ça finit de nous foutre en l'air.
Après cette phase de peur honteuse, notre raison d'homme moderne civilisé prend heureusement le dessus, nous réconforte, nous caresse subtilement le poil en nous sussurant des mots doux au creux de notre conscience. Non tu n'es pas coupable, c'est un fainéant. N'oublie pas, tu es un travailleur, et lui c'est un fainéant. Il est sale, il pue, il a des maladies et il mérite son sort. Il n'a qu'à bosser, et embrasser la même vie de merde que toi.
Les plus "téméraires" d'entre nous osent en effet détourner le regard sans se montrer hésitant ou coupable. Et parfois s'essayer au rôle de moralisateur. Tu ne boiras pas d'alcool (non c'est reservé aux riches travailleurs), tu ne fumeras ni te drogueras pas (idem). Parfois leur auto-persuasion est incroyable d'efficacité. Mais ça ne dure jamais longtemps. Sauf si on est effectivement une raclure sans nom.
Alors pour nous faciliter la tâche on préfère voter des lois, ayant pour but de masquer la pauvreté, bombarder les opprimés, interdire les gênants. On sera enfin tranquille avec notre conscience. On aura enfin l’impression de vivre dans un monde sensé.
Et puis un jour, les sdf on les parquera ailleurs, ils font fuir les touristes, ils sont trop et gâchent ce semblant de beau quartier, de fausse bonne ambiance, de fausse joie de vivre qui emplit l’homme du monde libre. Bientôt nous inventerons du répulsif ou des pièges anti-sdf. Dans certaines villes, ils sont d’ores et déjà interdits de séjour. Et interdits d’alcool. Non, pas d’alcool, vous n’aurez droit à rien pour apaiser vos souffrances. Souffrez en silence, mais lucides !
Je me suis dit que, quand on aura massacré toute la viande animale de la planète, on se bouffera entre nous. On sera alors devenu physiquement notre propre prédateur. De toute façon, l'ultra libéralisme, c’est ça. Il dénonce les monopoles, mais sa limite, son horizon, est pourtant le monopole, l’unité. Il donne un visage humain à la loi de la jungle. Nous sommes déjà nos prédateurs, le golden boy mangeant la secrétaire, le pdg mangeant l'employé, le vendeur mangeant le client. Alors on deviendra cannibales, on vantera d’abord les mérites de la viande sdf, élevée en pleine nature, nourris aux bonnes poubelles. Puis celle du salarié. Et ainsi de suite. Et à la fin, le dernier connard essaiera de se manger la bouche.