17.5.03

Temet Nosce

Hier j’ai regardé une émission qui fabrique des stars. Ils chantent très bien, certes. Mais ils apportent quoi ? Ils n’ont pas d’identité propre, bien que la forme soit très belle, hyper chiadée. Y'a pas de fond. Comme si le plus talentueux des réalisateurs faisait un remake plan pour plan.
Des ados chanceux, deviennent stars en quelques jours, après élimination d'une tripotée d'autres concurrents. Car évidemment, ils peuvent pas tous avoir cette chance, non, il n'en faut qu'un seul, c'est la règle de notre société. Cantonner le rêve, aux rêves. Quelques élus, pour beaucoup de malheureux. Mais votez surtout. Cette impression d'emprise sur les évènements, de choix, est le dernier cadenas qui nous enferme. Comme si ces jeunes méritaient leur sort plus que d'autres. Comme si cette façon de procéder, par des votes payant à outrance et par l'élimination publique et humiliante de tous les autres, était la plus juste possible.

C’est pas compliqué d’être une star, parfois ça s’achète ou se commande. Mais pour être un artiste, il ne faut pas quelques jours. Il faut parfois une vie entière pour savoir mettre en forme un fond. Il faut avoir pu le toucher au moins une fois.
Ils font du chant. Tout le monde peut chanter. Et d’ailleurs, il y en a énormément qui savent bien chanter. C’est pas si difficile. Le plus dur, c’est d’écrire, c’est de jouer en live, de chanter, de hurler, à en faire exulter une foule, et surtout jusqu’à les faire réfléchir.

Alors quel interêt à tout ça ? On vous voit à la télé. On a une importance. Parce que dans ce monde, plus on est vu, plus on est important. Car c’est le regard, le jugement des autres, qui fait tout. Ici, on ne vit que grâce aux autres, car on vit en groupe, on fait tous partie du même corps. On croit atteindre le graal quand on est une star, car on sort de cette masse informe, on sort du cul et on rejoint la tête. Et pourtant, c'est l'inverse qui se produit. En adoptant ce schéma et ces objectifs imposés par la société, nous rejoignons une masse informe, aux couleurs si attrayantes. Nous fuyons notre individu profond et la connaissance de nous-mêmes. Nous rejoignons l'individu-type défini par les critères de concurrence et d'abrutissement nécessaire à notre classe dirigeante. Et fuyant nous-mêmes, nous fuyons la vérité. Connais toi toi-même et tu connaitras l'univers et les dieux. Rejoins le moule et tu resteras un ignorant potentiellement dépressif. Mais tu auras alors peut-être la sacro-sainte chance de devenir un VIP.

Un VIP. Une personne trés importante. Le but ultime, la fovéa de notre société. The place to be. On rejoint le but suprême et inavoué de notre monde : gagner de l’argent en foutant rien, ou si peu. Cette société qui loue le travail, qui nous rend libre et heureux, lie la plupart pour le salut de quelques-uns, dont on projette les aventures, telle une carotte sous notre museau. Oh oui, on loue le travail, l'effort, mais on idolatre des peigne culs qui se prélassent. Pourtant ils sont nos guides. Ils sont les références, les précurseurs. On se fait tous chier jour après jour dans l'idée qu'on pourra gratter le ticket gagnant, par hasard, relation, casting ou concession, et rejoindre ce club de luxe.
Des gens beaux, bronzés, musclés, à la voix parfaite, bien habillés, riches. Même les moches deviennent beau en devenant star. Mes les fringues ringardes deviennent au top lorsqu'elles sont portées par des stars.

Tout ce petit jeu constitue notre essence, ce qui nous motorise à accepter ce mode de vie absurde. On est conditionné à croire que c’est la vie parfaite, le but ultime de toute existence : être bronzé, belle gueule, et riche. Un rêve paradoxal de gloire facile qui nous fait accepter une vie éprouvante de labeur. Des fourmis qui idolatrent quelques cigales.
Parfois il suffit d’une apparition télé, quand bien même un type était inconnu avant, pour que les jeunes cons s’arrachent ses disques. On prend ce qu’on nous donne. On écoute ce qui passe. On ne cherche pas ailleurs, d’ailleurs on ignore qu’il y a autre chose. On marginalise les « originaux », les « bizarres », les « démodés ».

Souvent les VIP s'entraident, se coproduisent, s'invitent et se propulsent. Les stars finissent par rester entre stars, et rejettent la médiocrité d'en bas, tout en leur envoyant plein de bisous. De si loin. Depuis peu ils nous engueulent de les critiquer et même parfois de les voler quand on a le culot de savoir se servir des nouvelles technologies. Mais peu importe, ils sont la bonne parole, car c'est les seuls qui l'ont, la parole. On a plus vraiment le choix. On a été élevé à la télé, c'est un réflexe comme manger ou boire, alors si la qualité baisse, on arrêtte pas. On regardera de la merde. En se plaignant, si peu. Car notre cerveau et notre esprit critique fond à vue d'oeil. Et puis nous n'avons plus besoin d'esprit critique, car on nous le fournit aussi. On nous conditionne à adorer des êtres parfaits et aussi d’autres qui ont une dose de politiquement incorrect, comme pour mieux masquer l’illusion, et faire croire que le mouvement contestataire existe encore. Ainsi le Che s'exhibe en série sur des tshirts griffés. Tous les icones à l'opposé de ce système, sont maintenant des faire valoir qui endorment notre vigilance en satisfaisant nos aspirations profondes de changement.

Les stars guident notre façon de penser, et notre façon de nous habiller. Quand on voit toutes les petites minettes qui s’habillent comme leurs idoles. A 10 ans elles se maquillent, mettent des strings. Toutes les gamines effacent leur enfance. Non, maintenant, même cette période de liberté et d’innocence doit disparaître. Il ne doit rien rester, pas une once d’humanité. Bientôt, des 5 ans, tout le monde sera conditionné à s'intégrer à ce mode de vie, des parfaits robots sans cervelles, des machines à consommer, des machines à se montrer plus beaux que les autres. On est tous des lièvres pour les autres. Et les chiens sont derrière. Ils gagnent du terrain.
Aujourd'hui, on ne distingue plus les filles de 20 ou de 13 ans. Elles s’habillent pareil, elles font pareil. Et l’enfance, l’imaginaire, tout ça, disparaît. Et a 20 ans, elles sont de parfaites petites vieilles. Regardez Britney machin, elle parle comme une vieille, rit comme une vieille, est tirée de partout. Le processus s’accélère au fur et à mesure on dirait.
Et l’enfance, ce monde merveilleux, de disparaître, d’être marginalisé par des petites connes pré-pubères. Et à 30 ans, ils se retrouveront tous à chanter les chansons des dessins animés d’antan, nostalgiques et déçus par la vie adulte. Mais c’est pas grave, puisque c’est "cool" d’être un vieux con nostalgique à 30 ans.