Putain j’ai maté les infos deux secondes tout à l’heure… un truc de dingue… A la une, les repas de traditions de l’épiphanie. Putain quel scoop, on se fait chier sur Terre ou quoi ?! Ca y est, on a trouvé le sens de la vie, la solution à la famine ?
Non mais bon dieu de merde, qu'est ce que c'est que ce bordel ? Et ça va en s'empirant en plus ? Avant ça se cantonnait aux dernières minutes du 13h, maintenant c'est le sujet principal. Alors je vous raconte même pas le reste des infos. A la fin j'étais littéralement en phase de décomposition sur ma chaise. Et on appelle ça, donc, les "informations". Incroyable, on m'aurait menti ?
J'ai besoin d'une petite mise à jour. Alors, un magazine régional et gastronomique, on appelle cela les informations. Par contre, les infos, on appelle ça maintenant des sites internets alternatifs. En plus, on vous les sert plus, il faut aller les chercher, c'est plus rigolo. Dans le même genre, y'en a d'autres. Une fausse blonde qui chante ce qu'il y a écrit sur le prompteur, on appelle ça une artiste authentique. Un abruti qui parle pour rien dire on appelle ça un intellectuel. Les fonctionnaires on les appelle les fainéants. Les smicards à vie on les appelle les privilégiés. Et ceux d'entre eux qui se plaignent on les appelle les connards. Quant aux rentiers qui arnaquent et détruisent le monde on les appelle "innovateurs", "créateurs de richesse", "moteurs des énergies". Le démantèlement des bonnes conditions de vie, on appelle ça la modernisation. Les défenseurs des interêts des employés, on appelle ça les ringards. Le travail à la chaine on appelle ça la liberté. L'aliénation on appelle ça l'épanouissement. Arbeit macht frei, c'est pas nouveau pourtant ?!
Les gens les plus sectaires, on les appelle les VIP, et on les prend pour modèles. La droite on appelle ça la gauche. L'extrême droite on appelle ça la droite. L'extrême gauche on appelle ça les ploucs ou les barbares, c'est selon. Et le centre, on l'appelle pas.
Sinon l'invasion d'un pays et le bombardement de ses civils, on appelle ça sa libération démocratique. Guantanamo, on appelle ça le monde libre. Rien de changé par contre au niveau des dictatures totalitaires qui pratiquent le capitalisme d'état, on continue d'appeler ça le communisme, personne n'a rien remarqué depuis le temps de toute façon.
Et puis, les USA qui torturent, c'est pas grave, Dieu est OK, et ça a pas l'air de poser de problème au pape. La Chine c'est OK aussi ils nous achètent du matos. On commencera à se faire de la bile quand ils seront trop nombreux et qu'ils auront plus besoin de nous. Là, on se prosternera comme des cons. Le Rwanda c'est une petite sauterie qui a dégéneré (800000 morts tout de même, soit 4 tsunamis, mais dieu merci nous ne passons pas nos vacances la bas); le Darfour on sait pas ou c'est, mais le 11 septembre, alors ça c'est une catastrophe humanitaire sans précédent, complot d'un berger machiavélique caché dans sa montagne et de ses accolytes malfaisants armés jusqu'aux dents (cutters, coupe papiers, cure dents). Si si, on a retrouvé leurs passeports dans les décombres des châteaux de cartes, euh, buildings.
Vous avez remarqué comme les gens ont la mémoire courte ici ? On ré-écrit l'histoire. La France collabo devenue résistante de toujours. Le colonialisme devenu utile et généreux. Les voies du front national, honteusement acquises il y a quelques années à un président de region, ça avait fait un scandale monstre, on exigeait des démissions. Aujourd'hui la droite quasi-fusionne avec le FN sur tous les thèmes, mais tout le monde s'en fout. De toute façon c'est pas grave, ils sont dans le coup, les autres ils sont ringards. On a l'impression que c'est la pire chose qui puisse arriver au citoyen français aujourd'hui. Etre ringard. La ringarditude qui chie la honte.
Pour être dans le vent, il faut à tout prix adhérer à ce nouveau et génial courant de pensée, découvreur de formules magiques. Putain travailler plus pour gagner plus mais c'est GENIAL. Comment n'y avait-on pas pensé ? Oh pitain les autres comment vous êtes ringaaaaards !!! GENIAL. Bravo. C'est vrai quoi, 35h, c'était trop, vous vous rendez compte, j'arrivais presque à trouver du temps pour penser ?! Gagner plus tout court c'est ringard, gagner plus pour travailler plus c'est cool. Mais alors, les actionnaires, ils sont ringards ? Chut ! Les actionnaires sont hyper cools, ok ?
Moi je gagne même plus assez pour partir en vacances. Heureusement, ils ont trouvé la solution. Plus besoin de partir en vacances, on supprime les RTT. Argument fatal : à quoi bon des vacances si on peut pas se les payer. Logique non ? Certains cherchent pas plus loin et trouvent que oui. Tiens d'ailleurs, quand on aura plus de quoi se payer à bouffer, comment est ce qu'on nous supprimera la faim ?
Le travailler plus pour gagner plus, est la base même de la nouvelle logique par l'absurde insufflée aux gens, qui y adhèrent les yeux fermés. On a faim, on est attiré par les boites colorés, les slogans simples et accrocheurs, sans se douter qu'on va acheter des vieilles boites de conserve recyclées et périmées qui vont nous refiler la chiasse. Quelle arnaque.
Le monde a arrêté de penser. Enfin, le monde, je m'en fous, c'est hors d'atteinte depuis longtemps. Mais la France, merde. C'était bien comme pays. C'était bien comme endroit. Maintenant la France s'apprête à se faire violer. Se faire démanteler, sous les hourras. Des futurs SDF qui démolissent en choeur leurs baraques. C'est la modernisation qu'on vous dit. Tout ce qu'il y avait de bien ici va partir à droite, à gauche, vendus aux enchères. Ce dernier lieu de service public, de confiance (nouvelle définition : paresse, mammouth, déficit public), va maintenant se transformer en "marché". Etre payé pour servir, va devenir arnaquer pour subsister. Oui, c'est la loi du marché. Renier toute possibilité de confiance, de service rendu. Nier la bonté et l'altruisme, nier la qualité intrinsèque de tout individu. Notre volonté ne nous pousse plus, c'est l'obligation qui nous tire, qui nous traine et qui nous racle. Le service est remplacé par l'obligation de résultat, et la confiance par la dette.
De toute façon, c'était perdu d'avance. Ces neo-alchimistes ont compris comment convaincre les moutons du bien fondé de leur formule magique, de leurs thèses si cools. Suffit de faire peur. C'est radical. Et la jalousie aussi pour courroner le tout. Suffit de pointer du doigt les "privilégiés" qui n'ont pas d'épée de Damoclès au dessus de la tête comme les autres qui n'ont pas su ou pu se défendre. Suffit de trouver les quelques mammouths, qui, dépités d'années de travail sans contrepartie positive, dépités de la nouvelle stigmatisation que les gens ont à leur égard, deviennent les symboles de la paresse légendaire des fonctionnaires. C'est une tactique bien connue, quand on affame un groupe de gens, il faut les monter les uns contre les autres, dire que certains mangent en cachette, promettre une récompense à un autre, etc. Au lieu de se solidariser, de regarder les gardiens se goinfrer, les prisonniers s'entretuent pour des miettes.
Les gens se reveilleront, petit à petit, mais trop tard. Car aujourd'hui les gens qui dénoncent la supercherie, qui mettent en garde, on les voit comme des oiseaux de mauvaise augure. Ils sont ringards. Je suis ringard, putain mais regardez moi ce plouc. Même mes amis me traitent de "gaucho". Quand je leur demande ce que ça veut dire ils savent même pas. Et je peux même pas leur rétorquer "droito", ça existe pas. Et si je dis "facho" on me prend plus au sérieux. Ils ont tout prévu ces cons-là.
Mais bon, les gens se reveilleront. Quand on devra payer une assurance service pack serénité pour être sur que sa lettre traverse le pays. Quand on assistera au tirage au sort de la CAF la samedi soir avant le loto. Quand leurs frais d'hopitaux leur couteront un bras. Et qu'au bout du deuxième ils n'en trouveront pas un de plus, même en travaillant plus. Quand le "travailler plus pour gagner plus" excédera les 24h par jour pour pouvoir s'acheter de quoi bouffer. On nous aurait menti ? Non, on aura vite fait de les distraire avec je ne sais quoi, les étrangers, le chômage, une guerre contre l'axe du mal, contre ces connards qui osent se rebeller de pas avoir à bouffer. Et de vouloir garder leurs deux bras. Deux bras ? Pouah les ringards.
Desfois je me dis que j'aurais aimé ne pas savoir lire. Rester un abruti notoire. C'est tellement relou de lire des trucs, des romans, de la "science-fiction", au chaud chez soi et de se dire naïvement, "ouf, ça n'arrivera jamais". Et puis aujourd'hui on assiste à tous ces trucs, on voit les gens suivre comme des moutons cette dictature de l'absurde. Voir des gens qu'on aime, qui nous ont appris tout ce qu'on sait, ses propres 68-ards de parents, croire des slogans, adhérer à des thèses, adouber les néo-cons et la novlangue d'Orwell. Ces mêmes parents, qui nous sermonaient avant qu'on sorte "fais attention, ne parle pas à n'importe qui, ne fais pas de bêtises, n'accepte pas les bonbons", qui m'exortaient à épargner, à préparer mon avenir. Ce sont les mêmes personnes qui aujourd'hui continuent à détruire le monde sans se soucier de demain, en acceptant les bêtises qu'on leur sert. Après nous avoir attachés, arnachés, ils nous ont emmenés dans leur course folle sans regarder le précipice vers lequel ils nous dirigent. Le voient-ils ? Ou l'ignorent-ils ? Aveugles ou criminels.
Quel gâchis putain, que de temps perdu.