6.2.07

Humanimal

Il faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste. – Pascal.

On nait tous coupables. La religion nous imprime cette culpabilité. Nous seulement on a bouffé le fruit défendu, mais en plus on a buté le seul type bien sur Terre, le fils de Dieu. Il est mort pour nous vous vous rendez compte. Ok certes il est mort pour nous, mais plutôt pour nous innocenter non ?! Bla ! Certains hommes ont besoin de nous condamner avant même que l'on soit né. Cela adoucit nos moeurs et compartimente notre bon sens. On ne se pose plus de questions, et on obéit bien sagement aux règles du monde libre. Alors on nous explique d'abord cette culpabilité avec Adam et Eve. Une espèce de bande dessinées pour illettrés qui prennent ça au premier degré. Pourtant, cette histoire illustre justement notre condition.

Au début, l'homme vivait insouciant, au sein du monde animal. Il vivait de chasse et de cueillette. Et puis l'évolution s'est pointée, et on s'est mis à discerner le bien du mal. Ca nous est tombé sur le coin de la gueule. Comme si un chien se trouvait trop poilu, et décidait que lever la patte ça le fait pas. Alors on a pris conscience de ce qui nous entoure. De la vie, et surtout de la mort. Et ça, ça fout les glandes. Surtout quand vous savez que votre temps est compté. Alors on le vit mal. Très mal. Et on se dit qu'on a du faire quelque chose de mal pour mériter ça. On aurait mieux fait de rester ignorant et insouciant. On se dit que ce savoir, on l'a volé, on aurait jamais du y gouter. Et puis, il y a l'arbre de la vie. Celui la, on a pas pu y gouter du coup. Dieu nous l'a caché. L'enfoiré. La vie eternelle, on y a pas droit. Pourtant, on sait l'imaginer nom de nom. Et ça nous met dans une rage folle. On a les idées de Dieu, mais pas le bonus, le ptit plus qui fait tout. On a la Porsche, mais pas les clés. On est un bel étalon au petit kiki. Un imposant chateau de cartes. Alors on s'imagine punis pour avoir tenté de ressembler à Dieu. Oui, ça peut être que ça.

Et puis il y aussi quelque chose qui nous échappe. Quelque chose d'impalpable et d'incontrôlable. Parfois nous avons tous ce sentiment de ne pas être maitres de nos destins. D'ailleurs, nous avons inventé le mot destin. Nous avons le volant, mais parfois les roues vont ailleurs. Et nous ne savons pas si les évènements nous façonnent ou si c'est nous qui façonnons les évènements. Le libre arbitre nous donne le vertige. Le moindre crime doit avoir son coupable, car nous ne supportons pas l'idée de hasard. L'idée que nous ne contrôlons rien. Nous nous sentons tels des joueurs de babyfoot enchainés à la pointe de l'attaque. Nous marquons, mais nous sentons parfois quelqu'un tourner la manivelle.

Alors soit on est effectivement coupable, soit Dieu est une ordure de nous faire subir tout ça. Et admettre que Dieu est une ordure, c'est d'autant plus flippant. Cela reviendrait à traiter d'enfoiré le type qui vout tient en joue, vous et votre femme. Alors vous préférez giffler votre femme. D'ailleurs vous décrétez que c'est elle qui vous a foutu la merde en vous incitant à bouffer la pomme. La culpabiliser pour mieux la contrôler. Et puis vous allez partir en guerre contre votre voisin, au nom de dieu d'ailleurs. Bien qu'inconsciemment, c'est contre Dieu qu'on part en guerre. Nous partons en guerre pour le toucher, ou le dépasser. L'arbre de vie nous est interdit, mais nous allons tenter de trouver une alternative. On aura pas la vie éternelle, mais on peut essayer de monnayer la vie des autres et de créer des "super-vies". Et les sous-vies qui vont avec.

Et puis il y a aussi les autres. Les autres. Ces animaux. Certains hommes subsistent toujours en accord avec la loi de la nature et cet environnement hostile. Ceux que nous appelons les tribus primitives, les indigènes. Ceux que nous nous empressons de martyriser et d'évangéliser pour mieux les contrôler. Leur faire oublier qu'ils ont raison. Qu'ils ont cette folie de raison qui leur fait accepter d'être nus, si faibles et soumis aux maladies. Cette folie de raison d'accepter de se frotter aux serpents, d'affronter l'hiver et les aléas de la chasse. Nous, hommes modernes, les trouvons aujourd'hui sots de passer à coté des plaisirs de l'eau chaude, de la télévision, du karaoke et des playstation. Pourtant ces hommes sont heureux. Ces hommes ne sont pas régis par la croissance, par la soif d'accumulation de capital et le désir d'emprise sur cette vie hasardeuse. Non, ces hommes peuvent concevoir de manger à leur faim et de ne posséder que l'air qu'ils respirent. Ces hommes n'ont pas renié leur animalité. Ils acceptent la cruauté de la nature. Les enfoirés. Et c'est pour qu'on oublie qu'il est possible d'être heureux ainsi que depuis des siècles on les massacre. Et parfois, on les force à aimer nos idoles. A devenir eux aussi les sous hommes dont nos meneurs ont besoin.

Notre plus grand malheur, notre malédiction, a été un jour de réaliser la souffrance qu'implique la loi de la jungle. L'agneau dévoré, la gazelle pourchassée. On a tous pris peur devant tant de cruauté. Alors les plus peureux d'entre nous ont érigé un matelas d'oseille les séparant du monde primaire. Un matelas de sous-hommes les séparant du règne animal. On commence par cultiver, accumuler de la nourriture, s'approprier des terres. Puis mettre tout ça sous clé. Et les autres devront travailler, encore et toujours, à la sueur de leur front, pour ouvrir le placard à bouffe. Et surtout, on devra leur désapprendre à cohabiter avec la Terre. Quitte à la pourrir au maximum. A la fin, il faut qu'on soit hyper dépendant. Dépendant du dentifrice, dépendant de la voiture, dépendant de la fourchette, dépendant du tshirt ou du slip. On est plus des animaux. On a dézingué notre planète, puisé ses richesses, massacré les espèces, mais on est plus des animaux. Ceux d'entre nous qui ont menés cette lutte se prennent maintenant pour Dieu. Ils sont aujourd'hui en passe de réussir leur pari. La prochaine étape sera de nettoyer leurs excréments. Les innombrables déchets de l'usine à dieux. Tous les hommes-déchets qu'ils ont créés et qui tôt ou tard devront disparaitre, de faim ou de force. Parce que la croissance infinie, vous y avez cru ? A un moment ou un autre, il faut faire un reset. Mais tout le monde ne le subira pas de la même manière.

Aujourd'hui nous assistons à une bataille. A un rejet. Le rejet de la nature par les hommes. Le rejet des hommes par la nature. Comme une greffe qui ne prend pas. Nous ne pouvons plus revenir en arrière. Les dommages causés sont irreversibles. Mais avant toute chose, pour avoir une chance, nous devons rejeter ceux qui mènent notre barque vers la chute. Ceux qui nous incitent à braver les lois de la nature. Ceux qui dictent notre façon de vivre en monopolisant médias et gouvernements. Nous ne pouvons plus continuer notre guerre contre Dieu et son jardin. Nous ne pouvons plus continuer notre mutinerie. Il nous faut retrouver la raison, et signer l'armistice. Quitte à accepter notre condition de mortels. Quitte à accepter de vivre. Il doit y avoir un juste milieu. Repenser une société à visage humain. Une économie qui prend en compte notre milieu et qui est axé sur le respect de la nature et de tous les êtres vivants. Une économie qui récompense l'altruisme et l'interêt public, et non l'égocentrisme et l'arnaque.
Oui, nous avons passé un cap. Le cap du rejet. Nous sommes le cancer de la nature, nous nous développons au mépris de ses lois essentielles. Nous sommes entre deux. Ni animal ni dieu.