7.4.06

Soupe de grenouilles

C’est très difficile de se faire un avis, de savoir ce qui est vrai et qui est digne de confiance. Parmi les dogmes, les courants de pensées, les théories du complot, les informations. Car même les médias officiels se permettent de manipuler les gens. Les journalistes sont toujours plus mielleux, annoncent les nouvelles les plus graves avec un sourire chaleureux, et flattent les responsables de nos maux. On a l’impression qu’ils deviennent de simples rapporteurs de la bonne parole. Des brosseurs de poils, mais dans le bon sens. Certains auraient pu être toiletteurs pour chien.

Alors forcément, dès qu’on s’éloigne de la bienséance, en regardant des "théories alternatives", on passe pour un con. Et en même temps, ça peut se comprendre, elles sont tellement mal ficelées. Les sites contestataires sont souvent consternant. De manière générale, il semble que personne ne veuille faire un travail sérieux de contestation. Par exemple, actuellement la situation actuelle est du pain béni pour les syndicats, mais leurs dirigeants ne réagissent pas. Ou alors ils grommellent en utilisant des slogans préhistoriques, qui ne touchent plus le même public. Ils ne s'adaptent pas. Pourtant il y aurait de quoi faire ?! Leur inaction ou leur curieux (complice ?) manque d'ardeur favorise l'acceptation des gens d'une situation qui est plus que merdique. Cela encourage les gens à rester de marbre quand on les maltraite. L'étiquette beauf-ringard-prolo scotchée aux syndicats n'aide pas. Car ici, être ringard c'est pire que la mort. Pour être dans le coup ces jours ci, il faut être libéral.

Les syndicats sont muselés, ridiculisés, ou inactifs. Ils ne font plus rien. La gauche non plus. On se scandalise du nombre de congés des français alors qu'on rêve tous que de ça, partir en vacances. On critique la gauche, sous les ordres des riches people qu'on voit à la télé. On se dit qu'il faut penser comme ça. Et qu'un jour, nous aussi on pourra avoir une belle voiture et un bronzage parfait. C’est à croire qu’il n’y a pas de pauvre dans ce pays. Ils sont pourtant en écrasante majorité. Mais ils ne votent pas. Car les médias ont cessé de leur parler. Ils ont obtenu l'abstention des pauvres, qui se reconnaissent si peu en la société toute puissante et implacable reflétée par la télévision. Ils se sentent en minorité et ne vont donc plus voter, c'est perdu d'avance. Et puis l'individualisme prôné a eu raison des plus faibles. Ils préfèrent se cacher ou se taire. Les médias désormais régis par de riches intérêts privés se garderont de réveiller ce sentiment de force et d'union de cette majorité passive et silencieuse.

Journaux et télévisions ne parlent plus qu’à mes parents, aux retraités de la Côte d'Azur et de l'Ouest Parisien. Mon père pense que les banlieues sont mal famées, que le chaos est aux portes de Paris. On vit à quelques kilomètres l’un de l’autre mais c’est comme si tout un océan d’incompréhension nous séparait. Ils vivent dans un ghetto pour riches, ou rien ne peut les atteindre, et ils se sentent en insécurité. La faute au journal de 13h, qui les endort avec les traditions régionales de leur enfance, et du 20h, qui les réveille en sursaut avec je ne sais quel acte odieux perpétué par une bande de jeunes sadiques. Mais vous inquiétez pas, notre futur président-sauveur nous en débarrassera, signez ici svp.

Même les pauvres voteront pour lui. On décide pour eux si telle ou telle personne vaut le coup. Si tel ou tel sujet mérite d’être entendu. Des faits divers, il y en a partout, à tout moment, et de tous temps. Mais il suffit d'en sélectionner judicieusement quelques-uns, à des moments opportuns. Ainsi en 2002 on a eu deux candidats dont personne (ou si peu) ne voulait au second tour des élections, à cause de quelques reportages bidonnés aux infos sur le sadisme de jeunes racailles. Si les médias daignaient parler des salariés intimidés et harcelés quotidiennement, du pouvoir d’achat qui a fondu depuis l’euro, des profits des actionnaires qui explosent au détriment des salaires, et surtout le truc qui me rend dingue, si quelqu'un osait parler des "anomalies" du système monétaire mondial et de la création monétaire ? Si les journalistes osaient réapprendre leur métier et faire un travail d'investigation, si les médias en parlaient comme il se doit, tout s’arrêterait !

Or la libéralisation du marché a permis aux gens proches du pouvoir de possèder la quasi totalité des médias et d’avoir micro ouvert sur le monde. Les intérêts privés ont étouffé l'intérêt public. On ne se tire plus vers le haut. On s'écrase. La science fiction rejoint la réalité, dans l'indifférence la plus totale. C’est l’argent qui gouverne tout. Ce sont toujours les mêmes qui peuvent accèder au pouvoir. Ce sont ceux qui ont les moyens de payer une campagne présidentielle, ou bien qui ont les "amis" nécessaires à un tel financement. Et qui bien évidemment auront des contreparties par la suite. Ne me faites pas croire que des généreux donateurs vont vouloir oeuvrer pour les miséreux de la France d'en bas en faisant élire un candidat de "droite dure". Si dure putain j'y crois pas. Je connais tellement de gens qui vont voter pour lui c'est cauchemardesque. Et en face on va nous mettre des mous du genou. Forcément, y'aura pas d'alternative. Pire ou pire, le choix est cornélien. C'est à croire qu'on sabote ou qu'on achète le silence de toute forme d'opposition consistante.

Notre plus grande faute est de laisser des privés accumuler les pouvoirs. Le pouvoir des armes, de l'argent, de l'alimentation, de l'information. Tout finit par être racheté par les mêmes. Et les gens applaudissent, se mettent à la mode du libéralisme. Ils écoutent attentivement ses leaders si séduisants qui leur promettent monts et merveilles. Ils se mettent eux aussi à dénoncer les dérives du service public. Les privilèges des fonctionnaires. Les mots durs des journalistes gauchistes qui contrôlent la presse. Oui, ils arrivent à croire ça aussi. Ils croient dur comme fer que nous allons vers le meilleur des mondes. Et que ces gens qui nous dirigent feront preuve de moralité. Pourtant, dans les faits, entre nous, gens d'en bas, ce n'est pas vraiment un climat de confiance : on se dévisage, on s’ignore, on se méfie du moindre petit jeune basané, on espionne son voisin, on se jalouse et se dénonce. Mais les golden boys, ah non, eux ils sont au dessus de tout soupçon. On leur donne les yeux fermés les clé de notre garde-manger, notre voiture et notre maison. Bientôt on leur filera les clés de nos corps, ils gèreront nos organes pourquoi pas.

Bientôt ces gens qui accumulent tous les pouvoirs pourront décider de couper l'eau chaude, l'eau froide, l'électricité, la voiture, la médecine, tous ces trucs auxquels nous sommes accoutumés. Nous aurions du nous battre pour un service d'intérêt général. Malheureusement nous avons ringardisé et diabolisé toute forme de défense et de solidarité collective. La liberté, l'égalité, la fraternité, la marseillaise, tout ça n'existe que le 14 juillet, le temps d'un feu d'artifice que nous ne comprenons pas. On apprend dans les bouquins d'histoire que la révolution française nous a libérés de la monarchie absolue, de la concentration des pouvoirs. On vous dit qu'on est dans le monde libre. Mon cul. C'est un monde qui n'a de libre que le nom. Il est aussi libre que les freedom fries. Il rend libre la dictature et renomme la monarchie en république.

Le libéralisme débarque en force en France. Et ça va plaire. C'est dans le coup. On nous a tellement persuadés que les pauvres sont des ploucs qui méritent leur sort. Que le socialisme rend pauvre, ringard et dangereux. De toute façon dans libéral, il y a liberté, donc c'est bien non ? Dans l'immédiat, les gens sont attirés par les beaux slogans, les jolies couleurs des publicités, les modes des grandes marques, car ça brille, c'est beau, c'est jeune, c'est dans le coup. On veut sa chance de faire fortune, de rester jeune et dans le coup. On veut notre droit d'accès au luxe, montrer patte blanche à logos LV. Quand on a, on est, se dit-on. Alors nous voulons avoir tous ces trucs chouettes, nous aussi.
On se dit que ces hommes politiques ont raison, que la privatisation, le marché, la concurrence, c'est bon pour nous, c'est bon pour la relance économique, et donc pour moi.
Mais bordel suis-je le seul à constater que la valeur de mon porte monnaie fond à vue d’œil ?! Je pars plus en vacances, je peux plus. Je m’achète plus rien. Et le hard-discount, je suis le seul à trouver ça dégueulasse ?! Est-on obligé de bouffer de la merde qu'on se procure dans des hangars miteux ? Avant c'était pas le cas. J'allais aux mêmes endroits que les autres et je me nourrissais comme eux. On a l'impression qu'on repousse les frontières. Le luxe atteint des prix vertigineux, comme un club privé aux droits d'accès décourageants. Et la pauvreté devient repoussante, crade, honteuse. Lafayette Gourmet contre Ed l'épicier.

Suis-je le seul à constater que l'Europe est un vaste traquenard économique sous couvert d'union, d'échange et de liberté ? Encore une fois, on confond liberté des hommes, et liberté du marché, sans se rendre compte que dans les faits, ce sont deux concepts qui s'opposent intégralement. Depuis quelques années, un smicard ne vit plus, ne se divertit plus. Il survit. Dieu merci on peut encore télécharger de la musique. Mais ces ordures font tout pour empêcher le téléchargement en restant à l'âge de pierre du disque. Ca me conforte dans l'idée qu'on est dirigé par des nuls. Ils n'ont pas vu internet, ils ne voient rien arriver. Ne s'adaptent pas. Ne sont intéressés que par le fric et le contrôle des gens du dessous via leur business. Comme les pétroliers qui veulent garder leur monopole en étouffant les énergies libres. Et les fabricants de tabac qui font tout pour cacher la nocivité des cigarettes. Avec la complicité de l'Etat biensur qui en profite pour nous culpabiliser avec indignation et surtout taxes rentables. Si elle vous plait pas la cigarette, puisqu'elle est dangereuse à en placarder des photos de poumons sur les paquets, interdisez-la bon dieu ! Bridez les voitures ! Sacrilège ! C'est pas bon pour le marché tout ça. Le sacro-saint marché. On préfère brider les hommes plutôt que les entreprises et les machines. Desfois j'aimerais qu'ils aillent jusqu'au bout de leur idée et qu'ils foutent des photos de cormorans englués sur les stations service. Ou sur les portières de bagnole. Pourquoi pas des photos de petites filles accidentées de la route ? On y viendra. J'aimerais surtout des posters de SDF et de morts de faim devant la Bourse. Et à l'intérieur, à côté du CAC40, un décompte du nombre de personnes sous le seuil de pauvreté. On l'appelerait le CAC4Milliards.

Tel un jeune con sans le sou, je télécharge de la musique. Je suis un pirate, je commets le crime diabolique de persister à m'évader en chanson. Je suis une ordure, un voleur, on le crie aux infos, et vous en êtes progressivement persuadés. Je vole les artistes. Je mérite la prison parce que je télécharge quelques méga octets mal encodés qui ont le tort d'adoucir ma vie. Gratuitement. Pour certains, la gratuité c'est pire que le vol. La gratuité c'est le pire des crimes car ça exprime la fin de leur petit pouvoir, de leur si précieux marché. De leur business chéri. Désolé de pas pouvoir claquer 20 euros dans un cd qui ne sera pas lu par mon pc. La faute aux super protections mises en place par les "défenseurs de l'art". On a l’impression que c’est marche ou crève, et que rien ne doit nous divertir. Seuls les riches ont droit aux divertissements et aux vices, ce sont maintenant des privilèges.
Putain mais je savais pas que j’étais pauvre. Ca m’a sauté à la gueule lorsque j’ai constaté depuis combien de temps j’avais pas pu partir en vacances. Avant, avec le même salaire, je faisais des tas de trucs. Ca me fait penser à l’histoire de la grenouille qu’on noie dans une eau qu’on chauffe progressivement. Elle ne sent rien. Et se laisse mourir. Je me suis laissé mourir bordel de merde.

Les mesures vont se durcir, car l’appétit de la rentabilité du marché est une gourmandise sans faim et sans fin. Ca ne s’arrête que si on la stoppe, que si on se met en travers. L’acceptation silencieuse et ignorante des gens va dans leur sens. Ils ont pris leurs aises et ne s’arrêteront pas de leur propre chef. On souhaite que l’individu qui nous marche sur le pied s’arrête de lui-même mais il ne le fera que si l’on exprime notre douleur : par un aie, par un coup, par un heur. Par quelque chose bon sang. Chaque soir, devant notre écran, nous attendons que quelqu'un exprime ce "aie". Nous attendons ça de la part de gens que nous prenons pour nos modèles, nos réferents, nos porte parole. Il est temps de nous rendre compte que ceux-ci ne jouent pas pour nous. Il est temps de prendre une inspiration, de remplir d’air nos poumons et de crier très fort. De hurler tous ensemble. Ne pas se laisser bouillir dans la marmite. Wake up.